À Boké, les accidents de circulation tuent plus que le paludisme, plus que le diabète, plus même que le SIDA. Et pourtant… on en parle si peu.
C’est un paradoxe glaçant : dans cette ville minière, où plus de quatorze sociétés exploitent la bauxite, les routes sont devenues de véritables pièges mortels. Familles endeuillées, orphelins, personnes handicapées à vie… Derrière chaque virage, chaque croisement, il y a une histoire tragique. À Boké, la sécurité routière n’est plus un simple sujet secondaire — c’est un véritable défi de société.
En 2024, la police routière de Boké a recensé 169 accidents, dont 12 mortels. Ces drames ont fait de nombreux blessés graves (12 hommes, 4 femmes, 1 mineur) et causé d’importants dégâts matériels : 17 véhicules et 69 motos impliqués. Mais ces chiffres, aussi inquiétants soient-ils, sont loin de refléter toute la réalité. Car dans certaines zones minières, les routes sont devenues de vrais cimetières à ciel ouvert. On parle même de « routes hantées », tant les morts s’y succèdent dans l’indifférence générale.
Des scénarios qui se répètent, dans un silence pesant
Toujours le même schéma : un camion percute un piéton, ou entre en collision avec un motard. Ces drames, personne ne peut les nier. Et pourtant, on continue à les ignorer.
Les causes ? Elles sont connues de tous : excès de vitesse, imprudence, alcool, fatigue… Mais aussi un système de recrutement opaque dans les sociétés minières, où les chauffeurs sont souvent choisis par affinité plutôt que par compétence.
À cela s’ajoute l’état catastrophique des routes, notamment celles qui mènent aux zones d’exploitation minière. Mal entretenues, étroites, poussiéreuses, elles deviennent de véritables pièges pour les usagers.
Et que dire du manque de formation ? Les communautés riveraines, souvent obligées de partager la route avec d’immenses camions, n’ont aucune formation au code de la route. Sur une moto, face à un poids lourd, la priorité ne veut plus rien dire.
Une tragédie banalisée
Aujourd’hui, dans presque chaque village autour de Boké, on connaît quelqu’un qui a perdu un proche dans un accident de circulation. Il y a des enfants devenus orphelins. Des jeunes devenus handicapés à vie. Des familles brisées à jamais.
Mais voilà comment ces affaires sont “gérées” : un sac de riz, 500 000 francs à la famille. Puis 150 000 ou 200 000 francs pour le chef de quartier ou de district. Et on passe à autre chose. Aucune enquête sérieuse, aucune justice, aucun suivi. Voilà comment on étouffe des vies.
Il est temps d’agir. Maintenant.
Face à cette situation alarmante, l’heure est à l’action. Il faut une prise de conscience collective. Les autorités locales et les entreprises minières doivent assumer leurs responsabilités. Il faut des campagnes de sensibilisation, une formation sérieuse des chauffeurs, un meilleur entretien des routes, et surtout : du respect pour les vies humaines.
Il est temps que Boké sorte du silence. Il est temps qu’on arrête de mourir dans l’oubli.
Mamadou Kankako